Un de mes meilleurs amis de la fac, Pedro, est franco-brésilien. Entre deux cours de maths, il m'apprit quelques mots de portugais. Je retins « Quer ficar comigo? » qui signifie « Veux-tu rester avec moi? » dans le sens « Veux-tu rentrer chez moi pour qu'on couche ensemble? » ou « Netflix and chill » comme diraient les ricains.
Aux États-Unis, un de mes collègues, Jair, m'apprit « Eu gosto de mulheres gostosas » qui signifie « J'aime les meufs bonnes. » Déjà moins utile pour draguer, mais ça en fera rire certains.
Je déménageai au Brésil après que mon visa eut expiré. La boîte qui m'avait recruté eut la malheureuse idée de m'engager après la saison des H1B (le visa de travail). Je partis donc aux US avec un visa de stagiaire, le J1, qui ne dura qu'un an. La boîte ouvrait une filiale au Brésil et, après des années aux côtés de Pedro et d'Hakim, mon prof de Jiu-Jitsu, ça me tentait bien de vivre là-bas.
J'arrivai à Rio après un long vol San Francisco-Panama, où j'étais à côté d'un gros qui prenait toute la place et d'un gamin qui chialait. Autant dire que le premier vol était bien plaisant. Il eut ensuite dix heures d'escale où je ne fis que dormir, et enfin j'arrivai à Rio dans la nuit.
Le père de Leo, mon coach de Jiu-Jitsu aux US, alla me chercher. Il oublia où il avait garé sa voiture et dut demander au gardien de l'aider à retrouver sa caisse. Il me déposa à l'appartement de la boîte et je rejoignis mes collègues qui faisaient la fête. Nous rentrâmes à cinq heures du matin. Bienvenue à Rio.
Kyle était arrivé un mois avant moi et était donc mon guide. Il m'enseigna « aqui » qui signifie « ici », et « valeu » qui signifie... je sais pas. On l'utilise pour dire « merci ». On peut le combiner avec « obrigado » (merci) pour donner « valeu obrigado ». On peut aussi l'additionner à lui-même pour dire au revoir « valeu valeu! »
Avec ces deux mots, je réussis à survivre quelques semaines. Pour dire au Uber où j'allais, il suffisait de dire « aqui », de même pour commander au restau. J'appris l'anatomie au Jiu-Jitsu. À force d'aller au cours, j'apprenais comment dire un cou, un coude, un genou, etc. Parfois, le professeur commençait le cours avec un monologue. Les vieux, ça adore raconter les anciennes batailles. Je ne captais rien et attendais debout qu'il finisse ses histoires. Ça pouvait durer vingt minutes.
Un midi, on alla à un restaurant qu'on finira par appeler « soy ». Il y avait de la viande hachée végétarienne que je pris pour du boeuf. C'était de la merde, la bouffe végétarienne à Rio, c'était pas ça. Pour ne pas répéter la même erreur, je demandai à Luis, ou Luizão (grand Luis), comment refuser d'aller à « soy » de nouveau. Il me répondit « teu cu » qui veut dire « ton cul », dans le sens « va te faire foutre ».
Les cariocas (habitants de Rio), ça jure beaucoup. J'ai grandi avec un voisin portugais, donc j'étais déjà familier avec « caralho » (bite), qu'on emploie dans le même contexte que « putain » ou « merde ». Mais j'appris au Brésil que la bite avait une maison, la « casa do caralho ». C'est un lieu imaginaire lointain; en français on dirait que c'est à Bab El Oued ou à Perpète-lès-oies.
Au Portugal, il y a une vraie casa do caralho, ce qui va dans le sens des préjugés brésiliens sur les portugais. Ils disent que ceux-ci prennent tout à la lettre. C'est un peu comme les belges pour les français.
Bon, c'est fini pour aujourd'hui les histoires, il fait une chaleur de fou (trente-quatre degrés) et une bière m'attend au frigo.